1. Le temps.

L'intégration de l'art dans l'école

Le temps de l’art dans les écoles

Le temps dans le cadre scolaire est pensé comme un capital à optimiser au mieux. Chaque matière bénéficie de son créneau dédié et un nombre d'heures à atteindre par semaine. Cela montre l’organisation rigoureuse qui est mise en place pour l’apprentissage. Sur les 24 heures de classe par semaine1, environ 10 sont consacrées au français, 5 heures aux mathématiques, 2 heures aux sciences et à l’histoire-géographie, 2 heures à l’éducation artistique (musique et arts plastiques), 3 heures à l’éducation physique et sportive, 1h30 à la langue vivante étrangère et environ 30 minutes à l’enseignement moral et civique. Cela met en évidence des priorités à respecter dans la répartition du temps scolaire. Les disciplines dites “fondamentales” occupent la majeure partie de l’emploi du temps, structurant les journées autour de séquences d’apprentissage jugées essentielles. On emploie le terme de “fondamentales2” pour les matières qui servent de bases à tout autre apprentissage : on parle ici principalement du français et des mathématiques. Cela enseigne des bases qui permettent aux élèves de comprendre, de s’exprimer et enfin de raisonner. Ces matières sont parfois aussi appelées “instrumentales” parce qu’elles permettent d’aborder les autres savoirs. A côté de cela, les disciplines dites “d’éveil” comme l’art ou la musique sont pensées comme complémentaires. Elles participent elles aussi à la formation de l’enfant, mais dans une logique de découverte et de curiosité. On voit alors une différence apparaître entre ces 2 “types” de matières dont les temps accordés ne sont pas répartie également et cela influence la manière dont les élèves perçoivent leur importance. 

a) La hiérarchisation des matières et ses conséquences sur la créativité pédagogique

Le temps dans le cadre scolaire est pensé comme un capital à optimiser. Chaque matière bénéficie de son créneau dédié et d’un nombre d'heures prévu par semaine. L’organisation de l’apprentissage est précise et rigoureuse. Sur les 24 heures de classe par semaine, environ 10 heures sont consacrées au français et 5 heures aux mathématiques. 2 heures sont consacrées aux sciences et à l’histoire-géographie, 2 heures également à l’éducation artistique (musique et arts plastiques), et 3 heures à l’éducation physique et sportive. Enfin, 1h30 est alloué à une langue vivante étrangère et environ 30 minutes à l’enseignement moral et civique. Cette répartition du temps scolaire met en évidence des priorités à respecter. Les disciplines dites “fondamentales” occupent la majeure partie de l’emploi du temps, structurant les journées autour de séquences d’apprentissage jugées essentielles. Les matières dites “fondamentales” servent de bases, de fondations à tout autre apprentissage. Il s’agit ici principalement du français et des mathématiques. Elles permettent aux élèves de comprendre, de s’exprimer et enfin de raisonner. Le terme “instrumentales” est également utilisé pour les définir. A côté de cela, les disciplines dites “d’éveil” comme l’art ou la musique, sont pensées comme complémentaires. Elles participent elles aussi à la formation de l’enfant, mais dans une logique de découverte et de curiosité. Cette distinction entre 2 types de matières, c’est à dire entre les matières fondamentales et les matières dites d'éveil, provoque une répartition inégale dans l’emploi du temps des élèves. Ces derniers, loin d’être dupes, perçoivent et ressentent cette hiérarchie.

Oui, il y a des choix qui sont faits. Et clairement, il y a une incitation ministérielle à réduire la part des arts au profit des dix fondamentaux.

Kathy SouffronEnseignante en école primaire

Les enseignants ne se désintéressent pas de l’art. Cependant, ils sont souvent contraints de réaliser des choix qui viennent pénaliser certaines matières. “Tenir le programme” sonne comme un crédo et les incitent à faire au mieux. La créativité est également reléguée à quelque chose de secondaire qui est travaillé une fois que les apprentissages “fondamentaux” sont couverts. Une logique qui engendre un appauvrissement et une standardisation de la pédagogie, laissant peu de place à la créativité pédagogique des enseignants. En découle la hiérarchisation des matières accompagnée d’une pression sur les enseignants. La manière d'enseigner s’en voit affectée.

En effet, la pratique artistique [...] elle passe après les autres. Et souvent, ils n'ont pas le temps. Donc plutôt que d'en faire toutes les semaines, c'est une fois de temps en temps. [...] Les arts plastiques n'ont absolument pas la place qu'ils devraient avoir dans les enseignements.

Pascale BlanchetFormatrice à l'universitée pour les futurs professeurs des écoles

Faute de temps et obligé de hiérarchiser, l’enseignant vient souvent reléguer l’art à un second plan. Il apparaît comme un luxe qu’on accorde lorsque les horaires le permettent. Son enseignement réduit cette matière à une activité ponctuelle, loin de son réel potentiel de développement personnel et critique. L’accès à l’art devient limité et empêche les élèves et les enseignants d’exprimer leur créativité. L’art est relégué au plus bas des matières, devenant une matière souvent insérée dans les interstices d’un emploi du temps surchargé. La dynamique de "créativité restreinte" renforce la hiérarchie des matières, où l’immesurable devient secondaire. Elle dévalorise non seulement les disciplines artistiques, mais aussi la capacité des enseignants à innover et à encourager la pensée divergente. Ainsi, la pression de l’efficacité étouffe progressivement l’épanouissement créatif des élèves et des enseignants, créant un cercle vicieux.

b) Les temps de transition

Lors de nos interviews, la notion de manque de temps est revenue de façon récurrente. Les enseignants, comme les élèves, sont constamment sous pression pour enchaîner les matières, suivre le programme, et respecter des horaires serrés. Les temps de transition, ces instants souvent perçus comme de simples espaces entre deux cours peuvent venir donner une partie de réponse. Le manque de temps n’est pas qu’une question de densité d'emploi du temps mais aussi une question de non-comptabilisation de moments dit de “flottement”, comme les transitions entre les cours ou les retours de récréation. Souvent perçus comme des "pertes de temps", ces moments ne sont pas intégrés dans la planification officielle des enseignants, bien qu'ils aient un impact direct sur la gestion de l'enseignement.

Enfin, franchement, je pense que des fois, les personnes qui créent les programmes ne se penchent pas trop sur l'emploi du temps qui est sur 4 fois 6 heures en enlevant des récréations. Et en enlevant aussi des moments entre les matières, qui sont des moments de flottement. Quand on passe, on range les cahiers, on reprend les cahiers. Tout ça, ça prend énormément de temps.

Sophie YoungEnseignante remplacante en école primaire

Aucune importance n’est accordée à ces moments oubliés. Les retours de récréation sont souvent vécus comme des instants où les élèves doivent être réorganisés pour reprendre le fil de la classe. Une “perte de temps” précieuse nécessaire pour les réintroduire dans le rythme scolaire afin de se recentrer sur les attentes. Une accumulation des petits temps au cours de la journée vient empiéter sur celui d'autres matières. L'évocation de matière secondaire prend alors tout son sens. Des répercussions directes naissent des moments perdus. Les enseignants vont alors majoritairement faire le choix de prioriser les matières fondamentales et supprimer ou réduire au minimum les créneaux dédiés aux matières considérées comme secondaires. Le réflexe de hiérarchiser les disciplines pour gérer son emploi du temps saturé est marqué par un nombre de matières laissées en marge.

Les enseignants se retrouvent donc sous une pression constante, les obligeant à s’adapter pour réussir à finir le programme malgré tout. La nécessité de "tenir le programme" incite à une gestion rigide du temps, où les créneaux consacrés aux matières non essentielles sont soit réduits, soit complètement supprimés. Ainsi, l'équilibre de l'emploi du temps devient fragile, les créneaux consacrés aux activités artistiques deviennent de plus en plus réduits, souvent relégués à des moments ponctuels et peu réguliers. Comme le souligne Jessica, une enseignante interrogée à ce sujet :

Concrètement, je ne te parle pas seulement en mon nom, mais au nom de beaucoup d'enseignantes que j'ai côtoyées. on travaillait surtout par projet. C'est-à-dire que pendant trois semaines, on ne pouvait pas du tout faire d'art ou d'histoire de l'art. Et puis, on se bloquait deux jours où on avait un projet peinture, créatif, etc. Et là, ça pouvait nous prendre deux après-midi ou deux matinées. C'était très aléatoire. Mais concrètement, on en faisait beaucoup moins que ce qui est préconisé.

Jessica Duprat AllantEnseignante en école primaire CP-CE1

Cet extrait illustre bien la manière dont le manque de temps et la hiérarchisation des matières conduisent à une gestion aléatoire et parfois insuffisante de l'enseignement des arts. L’importance de l’art se voit considérablement affectée par ce modèle qui pourrait avoir des incidences dans le développement des élèves.

c) La concentration des enfant

La concentration des enfants, loin d’être illimitée, constitue une des conditions essentielles de leurs capacités d’apprentissage. Dans le cadre scolaire, les enfants sont souvent soumis à une forte charge cognitive, avec un emploi du temps surchargé et des enchaînements constants de tâches mobilisant leur attention. Ils restent des humains et non des machines utilisées pour affronter dans la même continuité des informations. Des temps d’arrêts sont indispensables, pour permettre de recevoir ce qui leur est enseigné… L’attention est précieuse, mais tout de même limitée, et les différentes recherches en psychologie cognitive indiquent qu’un enfant, est incapable de soutenir une attention continue sur de longues périodes. Selon Canopé, au bout de 20mn, l'enfant de primaire sature. De nombreux éléments peuvent venir faire varier ce laps de temps, comme l’intérêt pour l’activité, la fatigue ou l’environnement de travail. Ainsi, pour coupler l’envie de mener à bien le programme et de transmettre les connaissances au maximum, les enseignants élaborent leur emploi du temps afin de caser des matières dites « plaisir » durant les moments les plus ardus de la journée scolaire. Les matières dites légères ou plaisir englobe généralement l’éducation artistique, contenus que l’on choisit souvent de programmer durant les moments où la concentration des enfants est affaiblie.

Et aussi sur la fatigue des enfants. Ce ne sont pas des machines non plus. Il y a en fin de journée, ils disent stop. Aujourd'hui, moi, j'ai fini la journée sur des chansons puisqu'il y a une chorale dans l'école où je remplace en ce moment. Et nous avons chanté les chansons qu'ils connaissaient déjà et on a commencé à en apprendre une. Parce qu'en fin de journée, c'est ça qui leur fait plaisir. En fin de journée, ils ont envie de faire des arts plastiques, ils ont envie de chanter. Ils ont envie de faire du sport.

Sophie YoungEnseignante en école primaire

Cette citation illustre bien la réalité de l’attention des professeurs. Les cours de matière artistique ou créative, permettent un moment de détente dans les moments difficiles. Il considère leur état pour leur instruire le mieux possible, notamment grâce à ce moment où la pression est allégée, car le but n’est pas de mémoriser ou d’apprendre par cœur, mais de créer et de s’exprimer autrement. Cependant, cette forme d’organisation du temps ne semble pas seulement ? Pour répondre aux besoins immédiats des enfants, elle pose encore ici la question de l’équité dans l’accès à un apprentissage riche et varié, capable de stimuler toutes les formes d’intelligence et de créativité. 

La position de l’art dans l’école

a) La perception et la considération de l’art dans l’école

Dans le cadre scolaire, l’art est souvent perçu comme une respiration dans la journée, un moment de pause dans une quête incessante au savoir. Aux yeux des enfants, mais également parfois dans les pratiques institutionnelles, il prend la forme d’un « loisir », une bulle plus légère au sein d’un emploi du temps chargé. Une vision se détache de cette pensée, la vision de l’art est bien loin de l’idée d’un véritable apprentissage, au même, titre que les mathématiques ou le français. On parle alors de “matière plaisir”, une étiquette qui, si elle traduit l’enthousiasme qu’elle peut susciter chez les élèves, participe pareillement à sa dévalorisation dans la hiérarchie des savoirs. Malgré sa faible place dans l’emploi du temps, l’art est un moment attendu et aimé des enfants. Dès qu’un atelier de dessin, de peinture ou de bricolage se profile, les yeux s’illuminent, les échanges se multiplient et le désir de créer se manifeste. Pour beaucoup d’élèves, ces temps créatifs sont des moments de liberté et d’expression. Il est possible de sortir du cadre habituel des apprentissages, ils offrent un espace sur lequel l’on peut expérimenter et imaginer sans se soucier d’un « bon résultat » à atteindre. Ce sont des moments de bien-être, qui permettent de reconnecter les enfants à leurs émotions et à leur capacité d’agir, et participent à leur bonheur à l’école.

Alors franchement, en général, les élèves adorent, adorent les arts, et tous les arts, parce que bon, en classe, le plus simple, c'est de faire de l'art plastique, mais moi, j'ai rencontré des collègues qui font du théâtre, et ils adorent ça. On a des projets danses aussi, on a des projets chorals, donc les enfants, en général, sont plutôt partis prenants, ah oui, vraiment, ils adorent ça.

Sophie YoungEnseignante remplacante en école primaire

La controverse de cette vision plus légère des matières artistiques est qu’il est souvent relégué à un moment où l’attention pour des matières dite conventionnelle disparaît. En effet, ses matières positionnées dans les plages horaires les moins favorables à la concentration. On remarque qu’en fin de journée ou juste après la récréation, l’attention des élèves chute naturellement. Fatigue et agitation rendent l’apprentissage plus difficile. Cela reflète une organisation temporelle où les disciplines dites fondamentales accaparent les temps considérés comme les plus productifs, tandis que les disciplines artistiques deviennent des variables d’ajustement. On les case “quand il reste du temps”, ou “quand les enfants sont trop fatigués pour faire autre chose”.

Cette manière de penser l'art à l'école influence directement la manière dont les élèves perçoivent sa valeur. Ce qui est mis en marge dans l'emploi du temps est aussi perçu comme secondaire dans l'apprentissage. Dès lors, l'éducation artistique peine à s'imposer comme un véritable vecteur de connaissances et de développement, alors même qu'elle pourrait jouer un rôle fondamental dans l'éveil, la confiance en soi et la construction de la pensée critique.  

L’art à l’école et, plus largement, la légitimité éducative des pratiques artistiques et culturelles, semblent faire l’objet d’un rare consensus. 

Alain Kerlandocteur en philosophie

b) Le cadre d’évaluation de l’art dans les école

Dans le système éducatif primaire, chaque matière est généralement associée à des compétences à atteindre. Les enseignants suivent des programmes officiels qui détaillent les savoirs et les savoir-faire à enseigner. L’évaluation de ces compétences, qu’elles soient cognitives ou pratiques, repose sur des critères bien définis. Les élèves sont souvent évalués par des tests ou des contrôles, dans des disciplines telles que le français, les mathématiques ou les sciences, où les progrès sont mesurables et les résultats chiffrés. Ces matières, considérées comme fondamentales, bénéficient d'une évaluation formelle qui permet de suivre les progrès de chaque élève de manière objective. Mais, cette manière de mesurer et d’évaluer est impossible dans l’ensemble des matières. En effet, l’un des paradoxes de l’éducation artistique en école primaire est qu’il est difficile d’entrer dans un cadre d’évaluation clair. Si les élèves peuvent effectivement être notés, les critères de ses évaluations restent fréquemment flous, voire abstraits. On s'aperçoit que contrairement aux disciplines dites indispensables, ou les attentes sont explicite et mesurable, l’art repose sur une des dimensions subjectives. On y retrouve l’expression personnelle, la sensibilité ou encore la créativité... toutes ses compétences qui sont personnelles et difficilement quantifiables.

Il est donc nécessaire de trouver une manière d’évaluer les élèves, par exemple, en tenant compte de leur participation ou des efforts fournis face aux défis rencontrés, plutôt que d’évaluer uniquement le travail en lui-même. Cela conduit parfois à une certaine confusion, tant chez les enseignants que chez les élèves. Comment évaluer un dessin, une sculpture, ou une œuvre créative sans tomber dans l'arbitraire ? Comment valoriser un processus créatif, qui ne suit pas un chemin linéaire, sans négliger l’originalité et l’expression personnelle de l’élève ? En l’absence de repères clairs, l’art devient alors une matière dans laquelle l’évaluation se fait souvent en fonction du ressenti ou de l’implication de l’élève, mais sans critères de mesure objectifs.

Ce flou dans l’évaluation contribue à renforcer la perception de l’art comme une matière annexe, moins importante dans l’apprentissage des élèves. Pourtant, loin d’être une simple "activité récréative", l'art pourrait jouer un rôle fondamental dans la construction de la pensée critique, l’éveil émotionnel et l'acquisition de compétences transversales comme la résolution de problèmes ou la collaboration. Il devient donc crucial de repenser son cadre d'évaluation pour lui accorder la place qu'il mérite dans l’éducation des jeunes élèves.